Cinématique

Le réel arrivé à l'esprit n'est déjà plus du réel.

Notre oeil trop pensant, trop inteligent.

Deux sortes de réeles :

 

1. le réel brut enregistré tel quel par la caméra

2. ce que nous appelons réel et que nous voyons déformé par notre mémoire et de faux calculs.

 

Problème. Faire voir ce que tu vois, par l'entremise d'une machine qui ne le voit pas comme tu le vois.

Robert Bresson - Notes sur le cinématographe

Je tombe sur cette phrase au début de mes recherches et sans bien savoir pourquoi, elle me colle. Je la tourne et retourne dans ma tête. De cette digestion verbale me vient l’idée de considérer le thème de la cinématique de la pensée. Comme la pensée se construit elle et par quels moyens ? J’essaie de recentrer mes recherches sur le cinéma qui est, pour moi, une mise en forme de la pensée complète.

La cinématique du cinéma se trouve sur plusieurs plans. Premièrement dans la projection elle-même, avec ces fameux projecteurs à bobine. Deuxièmement dans les mouvements de la lumière passant à travers la pellicule. Et enfin, le cadrage de la prise de vue, le montage, l’étalonnage, etc. qui est le versant artistique de ce que peut être le cinéma, mais qui reste très technique.

J’entreprends donc des recherches un peu aléatoires sur le cinéma. Je me rappelle alors ces séances de cinéma en plein air ou une association nous projetait des films avec un projecteur pelliculé très capricieux. L’arrêt soudain du film pour changer la pellicule nous sortait de cette réalité parallèle, et nous vîmes la mécanique du rêve : le projecteur…

J’ai tenté de comprendre le système du projecteur en le (dé) construisant (parfois maladroitement). Ensuite, j’ai essayé de comprendre comment fonctionnaient la lumière et la persistance rétinienne par la construction d’une roue chromatique.

En parallèle de cela, je réalise un film où je suis l’acteur principal. Le montage me fait comprendre la différence entre le « réel brut » et le réel déformé par de « faux calculs » dont parle Robert Bresson. En effet, l’histoire vécue durant le tournage nourrit le scénario préalablement écrit et le montage peut encore donner une autre tournure à l’histoire.

Enfin, j’analyse ce qui attire le plus d’attention sur mes machines, je les épure et ne leur donne que l’essentiel pour produire l’effet. Je décide pour le rendu définitif de ne donner que l’effet comme forme de rendu. Pour ce faire, je filme la lumière passant au travers de la roue chromatique de différentes manières. Je monte les images et ajoute une voix off et de la musique, que je crée moi même et qui correspond à ce que m’inspirent les images.

Finalement, ce projet relevé davantage de la recherche d’une méthode travaille plutôt que d’un réel projet de design. J’ai pu utiliser des outils de formalisation en tant qu’outil de recherches, changer mon paradigme de pensée pour une remise en question introspective tout en restant dans le cadre d’un semestre à l’ENSCI.

Je soumets mes expérimentations et recherches au public plusieurs fois. Cela intéresse, mais à aucun moment nous en venons à parler de la cinématique. J’ai l’impression que mes machines sont hermétiques à la réflexion. De plus, mon discours qui les accompagne n’est pas très clair.

Malgré le peu de compréhension, j’observe une fascination à regarder la lumière passée à travers la roue chromatique et ses lentilles de Fresnel, ou seulement regarder mon projecteur bricolé en quelques jours.

C’est de là que j’établis que dans le cinéma la première chose qui touche le spectateur c’est l’effet. Et plus particulièrement dans le rêve je considère l’effet comme un levier important. Je m’explique, j’entends par rêve, un moment ou une action qui nous transporte vers un état d’émotion intense et qui à partir de là ne cesse de nous remuer. Par exemple, personnellement les missions du programme spatial Apollo me font rêver. Je suis devenu passionné par cette série de missions le jour ou j’ai vu l’alunissage et le 1er pas sur la lune. Non pas que je découvrais que l’homme avait posé le pied sur la lune, mais je découvris ce moment intense chargé d’émotion qui passer par une mise en scène cinématographique. C’est cette chose que j’appelle l’effet. Il est complètement détaché de la mission dans son ensemble si ce n’est son paroxysme, mais cela aurait pu être montré de bien des manières et, peut-être, je n’aurais eu aucune affection pour ce moment de l’histoire de l’humanité.

Copyright © Gaëtan Brochier 2016